C’est le cœur en miettes que j’ouvre mes paupières pleines de larmes sur un monde m’étant totalement inconnu. Je ne sais pas comment je suis arrivée ici, je ne sais pas où je suis, le temps semble s’être arrêté, la nuit ne tombe pas. Et pourtant… Tout est merveilleux. Quand je suis arrivée là où je suis, j’ai cru rêver. Des centaines de petites planètes dans le ciel, virevoltaient çà et là. Les prairies, devant moi, s’étendaient à perte de vue. Les montagnes, le bleu du ciel, les fleurs et les sapins, sans parler des créatures… Tout semblait s’assembler pour me tendre la main, pour apaiser la douleur qui s’imposait à mon cœur. Pour me faire comprendre que, finalement… Tout allait bien.

Couchée sur un matelas de paille, je me lève difficilement. La femme qui m’a accueillie à bras ouverts dans sa demeure, Mima, se tient debout dans l’encadrement de la porte, elle sourit. « Je n’arrive pas à dormir. » Elle m’apprend doucement que je n’aurai plus à dormir désormais. « Où sommes-nous ? » Ruwen. C’est le nom de la planète sur laquelle je suis arrivée. « Et la Terre ? » Elle rit et me tend un verre d’eau. « Je n’ai pas soif. » Elle rit de plus belle, ce qui me déconcerte totalement.
Nous passons plus d’une heure à parler de ce monde, du pourquoi, du comment, de son fonctionnement, de la raison pour laquelle ses yeux commençaient à devenir violets.

La pilule a été… dure à avaler.


J’ai appris que mes souvenirs allaient finir par s’effacer, alors j’ai décidé d’écrire les grandes lignes de ma vie dans un carnet.
« Je m’appelle Eléonore et je n’ai jamais aimé ce prénom, c’est pourquoi je me fais appeler Leona. J’ai 24 ans d’existence sur Terre, que j’ai appris à partager avec ma sœur jumelle, Alice. Apparemment je suis morte. Je ne me souviens plus comment ni pourquoi, mais j’espère de tout cœur que ma fin a pu être profitable à quiconque. J’étais vendeuse dans une boutique de prêt-à-porter, dans le centre ville de Lyon, une ville française. J’espère, Alice, que tu seras le souvenir qui persistera. J’ose espérer que si tu n’es pas avec moi aujourd’hui, c’est qu’il ne t’est rien arrivé. On en a bavé toutes les deux, et je suis certaine que tu haïrais l’endroit où je me trouve. »
Ma vie est courte et le principal tient sur une dizaine de lignes. Tout le reste, tout ce que je n’ai pas écrit, qu’il s’en aille. Qu’il se volatilise. Ça me rendra service.


Apparemment, quand nous arrivons dans le monde d’Infinite, un Don nous est transmis ; celui de notre plus grande peur. J’ai mis pas mal de temps avant de comprendre quel était le mien. C’est grâce à Mima : je ne compte plus les fois où elle a sursauté en me voyant à ses côtés, ni celles où elle me disait qu’elle ne m’avait pas vue, qu’elle ne m’avait pas entendue arriver. Je déteste ça. Il est même arrivé que ses yeux perdent leur belle couleur violette pour devenir verts de peur : « Qui est là ! Qui ose tenter de voler ma vaisselle sans se montrer ? » Il s’avère que quand j’essaie de me faire discrète, je deviens littéralement invisible.
J’ai eu énormément de mal à accepter ce Don. Désormais, j’ai décidé d’en faire ma Force, de vivre avec, de m’amuser avec. Je ne peux pas m’en séparer, de toute façon.


« Si tu as encore du mal à accepter ta nouvelle vie ici, parcours le Monde. Tu comprendras qu’Il est merveilleux et qu’Il en vaut la peine. »
C’était décidé. Sac sur le dos, carnet de notes coincé dans la ceinture, l’aventure commençait.

« C’est la première fois que je passe un Portail Bleu. Y’a du monde.
C’est bon je l’ai passé. Rien de très grandiloquant, mais c’était quand même sym---- Rectification : je viens de vomir.
Y’a aucun panneau dans ce bled, je suis obligée de demander où je me trouve, finalement c’est comme sur Terre, l’orga’ est quand même pas terrible.
Un mec avec une queue de lézard vient de me dire que j’étais sur Supernova. Y’a des immeubles partout, c’est fou, bien pire que Paris.
…
J’ai passé un moment inoubliable dans la Pyramide, c’était incroyable. J’aurais vraiment aimé vivre ça avec toi, Alice.
…
Compliqué d’écrire, suis dans une charrette route pavée ,, Olympe. Grave beau ,,,, ça bouge fait chaud.
…
Je viens de passer un temps monstrueux dans l’une des tavernes de Pyrgos, la ville d’Olympe. On m’a conté les exploits de Leiv et de Hope, les deux grands guerriers qui se sont sacrifiés durant la grande Guerre opposant les Légionnaires et l’armée des Ombres. C’était il y a plus de quarante ans, ceux qui les ont connus en parlent comme s’ils étaient des Dieux. Ils étaient trois, l’un d’eux a survécu. Note pour moi-même : Leona, devient Légionnaire et rencontre Dragan.
…
C’est incroyable comme une planète peut être différente d’une autre. Me voilà à Crystal. Fait un froid de canard, j’ai du mal à écrire, mes doigts sont congelés.
…
Je suis de retour sur Olympe. Les gens de Crystal sont très étranges. Ils n’aiment pas vraiment les étrangers. Je voulais aller au Gouffre des Célèbes mais je n’ai pas pu, des gardes ont dit que la couche de glace était trop fine pour le moment et que c’était trop dangereux. Apparemment c’est un incontournable, il faut que j’y retourne et que je vois ça de mes propres yeux.
…
Je n’arrive pas à comprendre le fonctionnement des Portails Bleus. Ils fonctionnent à la pensée, et pourtant impossible de retourner sur Ruwen. Peut-être que je n’ai pas encore envie de rentrer, au fond de moi.
…
De retour de Destiny. J’ai dû être alitée. J’ai vomi tout ce que j’avais avalé. Les Ombres sont ignobles. Note pour moi-même : Leona, rejoins les Légionnaires et bute-les tous, ces fils de chiens.
…
Je reviens sur ce que j’ai dit, avec un peu plus de jugeote et de calme dans mes propos : pourquoi réagissent-ils comme ça ? Quelles sont leur motivation ? Avant de rejoindre la Dernière Légion, je ne peux pas, je ne dois pas passer à côté de ces réponses.
…
Enfin de retour sur Ruwen. Mima est très enthousiaste. Son apparence à encore un peu changé. Mon voyage a dû durer longtemps. Finalement, je n’ai pas écrit énormément dans ce carnet. »


Après ma petite aventure, j’ai fini par totalement accepter ma nouvelle vie. Le Monde d’Infinite est merveilleux, mais comme partout, il a des côtés sombres, il accueille des personnes mauvaises. Ce n’est pas quelque chose qui m’est totalement inconnu finalement.
Avec Mima, nous avons décidé de faire de sa demeure un lieu récréatif, qui accueille les nouveaux venus perdus et décontenancés. À l’image des tavernes de Pyrgos dans lesquelles j’ai passé énormément de temps, nous avons créé la nôtre : l’Auberge du Poney-qui-Fume. Un nom pas piqué des hannetons, dirons-nous.